L'EMDR

Eye Movement Desensitization and Reprocessing

Le traitement des traumatismes par le mouvement des yeux

L’EMDR utilise une méthode vieille comme le monde, l’attention bifocale de la personne sur elle-même : elle revit son problème dans tout son corps, parfois avec beaucoup d’émotion et en même temps elle considère ce qui se passe en elle au cours de cette reviviscence. Ceci n’est donc pas à proprement parler original, puisque la méditation utilise le même moyen. Ce qui l’est davantage, c’est l’utilisation d’une stimulation bilatérale (de chaque coté du corps) alternée par des mouvements oculaires (ou un toucher ou des sons), en même temps que la personne revit son problème. (1)

Qu'est-ce qu'un traumatisme ?

Tout le monde vit des traumatismes à un moment ou à un autre de sa vie. La vie est un traumatisme, de la naissance, qui en est un, jusqu'à à la mort, le dernier.

Et l'être humain est fait pour digérer la plupart de ces épisodes difficiles, c'est ce que Boris Cyrulnik appelle aujourd'hui la résilience.

Freud décrivait déjà ce processus (dans son article « Deuil et mélancolie ») comme un "travail de deuil" : après la perte d’un être cher, d’un travail, d'une illusion ou encore à la suite d'une expérience qui remet en question notre sentiment de sécurité, notre système nerveux est temporairement désorganisé et lui faut un certain temps pour retrouver son équilibre. Après quoi on en sort renforcé, grandi dans l’épreuve et plein de nouvelles ressources. C'est ce qui se passe quand tout va bien.

Le mécanisme est appelé par les praticiens de l’EMDR, le « système adaptatif de traitement de l'information ». 

Mais il arrive que parfois, en raison de son intensité ou de la fragilité de la personne au moment où elle le vit, un de ces évènements difficiles reste « coincé » dans le système nerveux. Il devient alors "traumatisant" au sens propre du terme. On peut le repérer à l'effet qu'il produit dans le temps : c'est comme si l'émotion qui y est liée ne s'atténuait pas sur la durée. Quand la personne y repense, même des années plus tard, elle ressent la même perturbation, peut pleurer, crier ou simplement sentir son cœur s'accélérer, ses mains trembler, sa gorge se serrer...

C'est le signe de ce qu'on appelle un stress post traumatique ou PTSD (post traumatic stress disorder).

Non seulement les informations concernant le traumatisme (images, pensées, sons, odeurs, émotions, sensations), mais également les conclusions qu'on en a tiré sur soi ou sur monde (« Je ne peux pas me défendre, je vais être abandonné... ») restent gravées dans leur forme initiale, inaccessibles au raisonnement et disfonctionnelles. Tout ce matériel reste stocké dans le cerveau. Il suffit alors que la vie fasse revivre un jour à la victime une situation qui lui rappelle le traumatisme initial pour réactiver tout le processus.

J'ai ainsi reçu un jour une jeune fille qui avait déclenché une dépression fulgurante suite à l'échec d'une relation amoureuse. Au cours de la conversation, elle avait fini par m'avouer que l'histoire n'avait duré que quelques jours. Cela aurait pu prêter à rire si sa dépression n'avait été si sévère. L'événement était vécu par elle comme un véritable abandon, lui rappelant celui qu'elle avait subi petite, quand son père avait quitté sa mère pour une autre femme et était parti vivre à l'étranger. L'enfant ne le revoyant plus que pour les grandes vacances, leurs relations s'étaient vite dégradées jusqu'à la venue au monde des enfants du nouveau couple qui avait définitivement éloigné le père et la fille.

Des traces indélébiles

Le scanner (pet scan) permet  aujourd'hui de visualiser les traces laissées dans le cerveau par  des expériences traumatisantes, en montrant les parties du cerveau qui se trouvent activées ou désactivées au souvenir d'un trauma. (2)

Ce qui explique que même si les victimes savent pertinemment qu'elles ne devraient plus se sentir mal dix ans, vingt ans ou plus, après une expérience difficile, que la guerre est bien finie, que l'agresseur est en prison ou même mort..., elles ne peuvent s'empêcher d'en souffrir encore.

Et non seulement, elles en souffrent, mais elles continuent de se comporter comme si rien n'avait changé depuis : une femme violée peut rester frigide avec son nouvel amoureux, même si elle a oublié consciemment ce qui lui est arrivé il y a des années. Car le corps lui, n'oublie rien.

Or, il existait jusqu'à présent peu de remèdes à ces stress post traumatiques. Les médicaments sont relativement inefficaces – ils peuvent tout au plus atténuer les symptômes mais pas en « nettoyer » la cause. Et les thérapeutes savent bien que se contenter de raconter encore et encore la scène ne fait qu'en aggraver les symptômes.

C'est alors que dans les années 80, Francine Shapiro, une psychologue californienne, a mis au point une méthode de traitement visant à  résoudre les traumatismes émotionnels en bougeant rythmiquement les yeux de droite à gauche, des mouvements oculaires rapides comparables à ceux qui ont lieu spontanément pendant les rêves (la phase du sommeil dite "REM sleep" en anglais,  rapid eye-movement sleep). Au cours du traitement, les souvenirs traumatisants perdent leur charge affective négative, ce qui met fin à la souffrance et aux réactions néfastes (crises de panique, peurs incontrôlées, anxiété, compensations de toutes sortes, etc.) et le cerveau reprogramme l'événement d'une autre manière, la remet en perspective par exemple, ou se concentre sur un autre aspect de la scène ...

Réservée au début aux personnes ayant subi de très graves traumatismes (soldats de retour de la guerre du Golfe, femmes violées, etc.), les applications de l'EMDR se sont étendues à différents problèmes d'ordre psychique, comme les phobies, la dépression, les petits traumas du quotidien, etc.

Une technique apparemment très simple

L'EMDR est une thérapie brève qui suit une procédure rigoureuse au cours de quelques séances d'environ une heure et demi chacune (environ trois séances pour un trauma).

Sa caractéristique est l'utilisation de la double stimulation (dual attention stimulation) : tandis que le patient replonge intensément dans ses émotions stressantes, le thérapeute provoque une stimulation sensorielle, comme déplacer rapidement ses doigts ou une baguette devant le visage de la personne et lui demander de les suivre des yeux sans bouger la tête, ou taper doucement sur ses genoux à un rythme régulier ou même claquer des doigts alternativement dans chaque oreille, à un rythme et une fréquence qu'il décide selon les réactions de celle-ci.

Un procesus d'auto guérison

Grâce à ces simples procédés, les images, les perceptions et les souvenirs qui étaient codés négativement dans le cerveau émotionnel sont littéralement recodés de manière positive.

Les mouvements des yeux semblent déverrouiller le système nerveux permettant au cerveau de retraiter l'expérience, même si elle en reste inconsciente. C'est donc la personne qui se guérit elle-même !

C'est un peu comme si les événements perturbants étaient restés bloqués dans un réseau de mémoire isolé. La personne ne peut alors plus en tirer aucun apprentissage et ce vieux matériel continue d'être activé automatiquement encore et encore. Dans une autre partie du cerveau se trouvent les informations dont elle a besoin pour résoudre le problème mais quelque chose empêche ces deux parties de communiquer. L'EMDR permet aux deux parties de se connecter.

Au début du processus, il peut arriver que le patient revive un peu brutalement la scène visée, produisant ce que l'on appelle une abréaction, une sorte de catharsis ; mais rapidement, les choses se calment et c'est comme si le cerveau trouvait spontanément un autre point de vue, plus positif, sur l'événement, souvent même, en tire des leçons de vie (3).

On peut ainsi dire que l’EMDR facilite la prise de conscience et par conséquent, modifie les croyances et les comportements.

Il est possible que dans les jours qui suivent une séance d'EMDR, des émotions remontent, comme si le cerveau reprogrammait tout seul d'autres matériels. C'est pourquoi il est recommandé de rester en contact avec son thérapeute et de veiller à ne pas prendre de grandes décisions pendant ce laps de temps. Petit à petit, les choses se mettent en place. Il est également recommandé de tenir un journal de bord où l'on note tout ce qui peut se passer dans les jours qui suivent une séance, une émotion, un souvenir qui remonte ou qui change, des rêves, etc. Ces indications serviront pour les séances suivantes.

Des effets durables

Selon mon expérience et celle de mes collègues, un traumatisme « nettoyé » en EMDR le reste définitivement (4).

(1)
C’est une découverte faite en 1987 aux Etats-Unis dans le domaine des psychothérapies, par une américaine, Francine Shapiro. Cette psychologue est aujourd’hui membre du Mental Research Institute de Palo Alto. Elle a obtenu en 1994, pour sa découverte, l’un des plus grands prix scientifiques des USA : the Award for Distinguished Scientific Achievement in Psychology.
(2)
Lors d'une étude du département de psychiatrie de l'Université de Harvard, il a été demandé à des patients ayant subi un traumatisme émotionnel d’écouter une description  de ce qui leur était arrivé pendant qu’on enregistrait leurs réactions. On a alors pu constater que la région de l'amygdale, le noyau reptilien de la peur au cœur du cerveau émotionnel, était clairement activée. Étrangement, le cortex visuel aussi montrait une activation marquée ; comme si ces patients regardaient une photo de la scène plutôt que d’en écouter simplement le récit. Et, plus fascinant encore, les images montraient une "désactivation" de l'aire de Broca, la région du cerveau responsable de l'expression du langage, ce qui explique qu'on entende souvent les victimes de PTSD dirent qu'il ne trouvent pas les mots pour décrire ce qu'ils ont subi.
(3)
« Pendant les mouvements oculaires, les patients donnent l'impression de faire spontanément de « l'association libre » telle que la recommandait Freud et dont on sait qu’elle est particulièrement difficile à faire sur commande. Comme dans les rêves, les patients traversent un vaste réseau de souvenirs reliés les uns aux autres par différentes bribes. Ils commencent souvent à se souvenir d'autres scènes reliées au même événement traumatique, soit parce qu'elles sont de même nature (par exemple, d'autres épisodes d'humiliation en public), soit parce qu'elles sollicitent les mêmes émotions (par exemple, un même sentiment d'impuissance). Il leur arrive souvent d’éprouver de puissantes émotions qui remontent rapidement à la surface même si elles avaient été ignorées jusque là. Tout se passe comme si les mouvements oculaires - comme au cours des rêves -  facilitaient un accès rapide à tous les canaux d'association connectés au souvenir traumatique ciblé par le traitement » Extrait de Guérir, de David Servan schreiber éditions Robert Laffont.
(4)
«Une étude a été menée sur le traitement par l’EMDR de quatre-vingt patients présentant des traumatismes émotionnels importants, publiée dans l’une des revues de psychologie clinique les plus pointilleuses en matière de méthodologie et de rigueur scientifique.
Dans cette étude, 80% des patients ne montraient plus de symptômes de PTSD après trois séances. C'est un taux de guérison comparable à celui des antibiotiques pour la pneumonie. Je ne connais aucune étude de quelque traitement que se soit en psychiatrie, y compris des médicaments les plus puissants, qui ait fait état d'une telle efficacité en trois semaines. Naturellement, je me disais qu'il était inconcevable qu'un traitement qui marche aussi vite ait des résultats durables. Mais lorsqu’on avait interviewé le même groupe de quatre-vingt patients quinze mois plus tard, les résultats étaient encore meilleurs que tout de suite après les trois séances. (...) » (David Servan-schreiber)